Les allemands sont marrants. Enfin, quand on parle Culture avec eux, on a tout de suite envie de rire. C’est vrai que nous ont-ils laissés ? Scorpions et Tokyo Hotel ! Rock’n roll ! Il y a bien eu un ou deux noms par ci par là, Beethoven, Goethe, Lang, mais bon, çà casse tout de même pas trois pattes à un canard.
Pourtant, le temps de quelques années, au début des années 70, les allemands ont révolutionné le monde du rock, de la musique électronique et de la musique en général. Via un « mouvement » apparu à la fin des années 60, appelé le Krautrock. Un nom étrange qui, d’ailleurs, vient d’un titre de FAUST IV, quatrième album du groupe du même nom, mais paru en 1973. Un long morceau de douze minutes, avec une rythmique très répétitive et hypnotique. Faux mouvement, puisque des groupes de divers horizons verront le jour, et qui peut mettre en commun le travail de KRAFTWERK, avec celui de CAN…. KRAFTWERK, CAN, TANGERINE DREAM, NEU !, KLAUS SCHULZE, AMON DÜÜL pour les plus connus feront le mouvement sans approuvé forcément le fait d’y être rattachés.
Au milieu de tout çà, CAN. CAN, c’est un peu comme si tout à coup, des allumés notoires s’étaient mis en tête de faire de la musique, sans avoir des bases très techniques, mais avec beaucoup d’idées saugrenues, voire carrément folles…. Rapidement, (dès le premier album), CAN explose les schémas habituels. Le temps, mais aussi la construction. Habituellement, les longs morceaux sont une progression, un début et une fin, avec pour milieu, un voyage dont les paysages, changent au fur et à mesure, comme un train au long cours qui traverserait un pays en long, en large et en travers, mais chez CAN, les rails sont montés en boucle. On part d’un endroit pour arriver au point de départ. Les 20 minutes répétitives de « Yoo Doo Right » du premier album, Monster Movie sont là en guise de carte postale. Car CAN, c’est avant tout une musique basée sur la rythmique, saccadée et obsessionnelle, qui ne commence pas, qui ne finit pas. Une danse au creux du Rhin, qui semble venir des tréfonds africains ou des versants. Pourtant, derrière tout çà, il y a des solos de guitares, mais personne ne joue la carte de la démonstration. C’est un peu de chaos, beaucoup de cahots, qui se terminent en K.O. Eprouvant pour certains, la musique de CAN aurait pu truster les hits parade si elle s’en était donné la peine, mais encore faut-il le vouloir… Certaines mélodies sont tout bonnement sublimes, « bring me coffee or tea », « Mary, mary, so contrary » au hasard, mais les voies(x) expérimentales qui se font entendre anéantissent toute forme d’ambition commerciale.
On y croise des instruments étranges, des collages électroniques, du synthé, du chant approximatif, des paroles criées (jamais hurlées) plus que chantées, mais toujours une émotion brillante et communicative. Communicative, oui, car on ne compte plus les groupes influencés par CAN, de SONIC YOUTH à TORTOISE, tout le post rock doit beaucoup à CAN, mais aussi le punk et, à plus ou moins grand échelle, toutes les musiques actuelles. Le temps que 5, voire 6 albums, CAN a été furieusement novateur, après, c’est une autre histoire.
MONSTER MOVIE
Un premier album qui pose les bases radicales dont ils ne se déferont que beaucoup plus tard. La production approximative et le mixage volontairement agressif (la rythmique en avant…) de leurs disques donnent une ambiance spectrale, et le champ des instruments, étrangement agencés éclate aléatoirement. Quarante minutes, déjà fondamentales.
SOUNDTRACKS
Ce second album est en fait une compilation de morceaux enregistrés pour différentes musiques de film. Cela aurait pu donner un album bancal, l’ensemble, chargé d’électricité, coure le long d’un fil conducteur homogène, et tout finit par se tenir. A l’exception de « Mother Sky » et ses 14 minutes très répétitives, mais aussi très rock, tenus par une guitare avec une distorsion très aigüe, les autres titres sont basés sur des formats assez courts, et rendent chaque composition assez efficace.
TAGO MAGO
LE disque historique de CAN. Le plus connu en tout cas. Un double album, qui aurait tout de même gagné en concision. Ce n’est pas le disque que je préfère. Il prend volontairement le chemin de l’expérimentation, mais s’épanche parfois un peu trop, comme lors de « Aumgn » qui se laisse aller à une série de collages étranges ; Si l’ensemble est intéressant, il manque d’équilibre qui fait le charme des autres albums. Ceci dit, il s’agit d’un disque tout de même excellent, « Paperhouse » ou « bring me coffee or tea », deux morceaux fabuleux, sans compter l’épique Halleluwah ». Bref, un disque pas facile mais fondamental.
EGE BAMYASI
Un de mes albums favoris. Tout simplement. Je ne suis sûrement pas normalement constitué, mais moi, je pleure presque en écoutant « Vitamin C » et son orgue flottant en guise de parquet. On retrouve l’équilibre entre expérimentations, dissonance, mélodie. « Pinch », rythme funk, est une porte ouverte à l’immense album de Miles Davis « On the Corner », quant à la « Soup » en montagnes russes, elle se boit comme du petit lait, à la fois électrique et folle, et expérimentale. Les deux vignettes pop qui clôturent l’album, « spoon » figurera même dans les hit parades, laissent penser qu’avec un peu de volonté, CAN aurait pu vendre des disques avec un semi-remorque ; Ce n’est pas la voie qu’ils vont choisir.
FUTURE DAYS
Visiblement, les membres du groupe ne parviennent pas à se décider. Pop ou pas pop…. On retrouve ici les grands espaces, avec 4 morceaux, deux instrumentaux, le « Moonshake » pop qui rappelle les titres du précédent, et le « bel Air » sorte de triptyque de 20 minutes qui ne tient pas en place et qui s’envole au milieu d’une tempête. Contraste étonnant avec le premier titre, très paisible instrumental qui, à la lumière d’une réécoute me donne l’impression que Air, sur le premier morceau de leur album « Moon Safari » leur a tout bonnement pompé la rythmique, à la note près. « Spray » est plus que jamais lié, encore une fois au disque de Miles Davis, précédemment cité, avec quelque chose de plus nerveux ancré au fond de lui, une transe folle et irrémédiable, avec ses orgues de films d’horreur. Un très bon disque.
SOON OVER BABALUMA
Dernier opus qui soit vraiment intéressant, à mes yeux, celui-ci laisse déjà entrevoir les futurs choix du groupe. Ils semblent obsédés par le Dub, et çà commence à s’entendre. La production est plus léchée, mais c’est surtout le début d’un sentiment de déjà-vu. CAN commence à s’auto-parodier, et du coup, çà devient moins pertinent, moins. Les membres s’essoufflent aussi un peu, troisième chanteur à prendre le relais.
A noter l’excellent « Quantum physics » qui sauve un ensemble un peu terne et qui, déjà, manque légèrement d’inspiration.
A mon sens, 1974 sonne donc le glas d’un groupe fondamental que ceux qui aiment le rock indie un peu barré ne peuvent ignorer.
Quant au reste du Krautrock, je ne saurai que vous conseiller d'écouter les quatre premiers albums de FAUST... Pour le reste, demandez à Shakey qui semble bien calé sur le sujet.