Bonjour,
Je poste ici la chronique que j'ai publiée dans Crossroads 53.
NEIL YOUNG
LIVE AT MASSEY HALL*****
Reprise
Journey through the past
Quand il revient à Toronto pour deux concerts acoustiques au Massey Hall le 19 janvier 1971, Neil Young a 25 ans et vient de vivre une année exceptionnelle. En février 1970, il a tourné avec Crazy Horse (Live at Fillmore East, Vol. 2 des Archives sorti l’année dernière) ; Déjà Vu (CSN&Y) est sorti en mars ; deux mois plus tard, quatre étudiants sont tués sur le campus de la Kent State University ("Four dead in Ohio"), tournée avec CSN&Y immortalisée sur 4 Way Street ; en septembre sort After the Gold Rush, son troisième album solo avant uen nouvelle tournée, en solo cette fois, dès janvier 71. Quelle carrière depuis son départ pour les États-Unis cinq ans plus tôt au volant de son corbillard, long may you run... Avec le recul, cette tournée solo apparaît comme un moment-charnière entre cinq années bien pleines comme des prairie oysters, du Buffalo Springfield à la collaboration mi-fugue mi-raison avec Crosby, Stills & Nash et une poignée d’albums solos indispensables et l’enregistrement d’un album, Harvest, dont Young ne sait forcément pas qu’il va faire de lui une icône du folk et de la country, image qu’il fera voler aussi sec en éclat dès la tournée suivante et la Ditch Trilogy (Time Fades Away, On the Beach et Tonight’s The Night). Le 19 janvier 1971 donc, Neil Young revient sur ses terres, à Toronto, Ontario. C’est peu dire que ce retour est triomphal, les deux concerts sont sold-out et le public aux anges dès les premières mesures de "On the Way Home", titre imparable pour un retour au bercail! Young semble à l’aise plaisante avec les photographes ("Don’t take pictures when people are clapping"), parle de son prochain album, de sa créativité, de son ranch, du ravage des drogues dans son entourage. 35 ans après, il est amusant d’entendre ce public réagir avec enthousiasme dès la deuxième mesure de "Tell me Why" et de ne pas moufter aux premiers accords de piano de "A Man Needs a Maid", et pour cause ! À nous, aujourd’hui, de tomber sur le cul en l’entendant embrayer direct sur "Heart of Gold", dont l’interprétation officielle sera pendant longtemps la planche de salut des apprentis guitaristes dégoûtés par le flat-picking de "The Needle and the Damage Done".
Ce concert du Massey Hall, mélange du early show et du late show, si l’on juge par les quelques variations remarquées par rapport à un pirate connu des connaisseurs, est une collection définitive du Neil Young acoustique: 17 titres en 61 minutes, deux rescapés de Last Time Around du Buffalo Springfield, "On the Way Home" en ouverture et "I Am A Child" en clôture ; "Helpless" et "Journey Through the Past", deux successeurs improbables à "Ô Canada", l’hymne officiel signé Calixa Lavallée pour la musique et Adolphe-Basile Routhier pour les paroles françaises. Rajoutez "Cowgirl in the Sand", "A Man Needs a Maid", présenté comme un Broadway Musical aux paroles non encore définitives ("Afraid, a man feels afraid", au refrain), "Don’t Let It Bring You Down" et "Ohio", une paire d’inédits ("Bad Fog of Loneliness” et “Dance Dance Dance”), une murder ballad ("Down By The River"), un bulletin météo ("See the Sky About to Rain", enregistré par les Byrds en 73 avant de se frayer un chemin sur On the Beach un an plus tard), un piano pour "Love in Mind" et un "There’s a World" dénudé qu’on redécouvre avec plaisir tant la version encordée faisait tache sur Harvest, deux ou trois Martin D45 et une chemise à gros carreaux (accessoire indispensable des années lycée!), et vous avez là un disque redoutable par la qualité des compositions (ce n’est pas un scoop) et surtout la puissance des interprétations, sans artifice, juste un piano ou une guitare, même pas une soufflette d’harmonica. Je maintiens qu’à 25 ans, Neil Young n’est pas loin d’être à son apogée, quitte à être condamné par le tribunal des Gens Ordinaires à écouter Are You Passionate 25 fois de suite, catch me if you can.
Pour quelques euros de plus, de grâce, craquez pour la version DVD. Le concert a été filmé dans son intégralité. Vous êtes sur scène, entre le piano et les D45, le micro et le magnétophone à bandes qui tourne, posé sur une chaise. L’image est frêle, parfois floue, sépia. Neil Young chante pour vous, comme vous n’avez jamais osé l’espérer. Vous n’en raterez pas une miette tellement ces images semblent venir d’ailleurs. Et si vous sortez indemne de ce tour de force, un dessert somptueux vous attend: passons sur la brève discographie sélective (albums acoustiques) et les paroles de toutes les chansons, manuscrites ou tapées à la machine, l’historique du Massey Hall, construit en 1886 au 178 Victoria St, à Toronto et le timeline des années 1970 et 1971 (voir ci-dessus). Les vrais bonus sont ailleurs: Neil Young invité au Johnny Cash Show où il interprète "The Needle and the Damage Done" en fixant la caméra et "Journey Through the Past", et des extraits d’un documentaire européen filmé sur son ranch, Broken Arrow. On y fait la connaissance de Louie Avila, l’Old Man, l’homme à tout faire de la propriété, cabot face à la caméra alors que Young semble s’en méfier (« Tu dois être riche pour te payer un ranch pareil ? » « No, I guess I’m just lucky », qu’il lui répond). Autre document intéressant, cette séance tournée en 1997 en compagnie du photographe/archiviste Joel Bernstein où les deux hommes trient les documents relatifs à ces deux concerts du Massey Hall (photos, coupures de presse, setlists…), comme quoi ce projet d’archives ne date pas d’hier.
Live at Massey Hall est le troisième tome de la collection NYAPS (Neil Young Archive Performance Series). Sachant que le Live at Fillmore East porte le numéro 2, vous vous demandez à juste titre où est fourré le Vol 1. Figurez vous que ce premier tome, sobrement intitulé The Archives Vol 1 sera composé de 8 CD et 2 DVD constitués « d’enregistrements live et studio, rares et inédits, de films inconnus au bataillon, de photos spectaculaires, de lettres personnelles et d’un livret de 150 pages ». La sortie est prévue cette année, ça laisse un peu de temps pour mettre des sous de côté.
Jacques-Eric Legarde
A ranger à côté du Vol 2, tout près de la biographie en français d’Olivier Nuc, collection Librio (2 €) en prévoyant un peu de place pour le Vol 1. En attendant, vous pouvez signer la pétition pour la réédition de Time Fades Away (
www.thrasherswheat.org/tnfy/tfa-petition.php).