La difficulté, lorsque l’on se met à écrire sur un groupe dont on est mordu depuis vingt ans, c’est de rester objectif. Pour vous parler de SONIC YOUTH, je pourrais faire court et vous dire simplement que tous les albums sont géniaux et que le minimum à posséder d’eux, c’est l’intégrale. Mais d’abord, ce serait vous mentir, et ensuite, ce serait vous faire dépenser de l’argent pour rien, et donc verser des taxes supplémentaires à l’Etat qui nous en pompe déjà suffisamment comme çà.
Passons sur une biographie barbante pour le profane ou pour celui qui s’intéresse au groupe sans en être un fondu, d’autant que nous avons affaire à des gens paradoxalement très sages. Paradoxalement, oui, car, rapidement leur musique va évoquer le chaos, le désordre, le bruit, la dissonance et parfois la noirceur absolue.
En 1981, Thurston Moore et sa petite amie sortie des beaux arts Kim Gordon créé Sonic Youth. Un hommage à Fred Sonic Smith du grandiose MC5 et à Big Youth, homme de reggae. Se joint à eux Lee Ronaldo, ami et futur metteur en son indispensable du groupe. Bien vite, leur musique se base sur un accordage des guitares improbables, et sur du bricolage à base de tournevis, distorsions et tout ce qui peut aider à faire du bruit. Car les membres du groupe désaccordent, réaccordent, désinventent et réinventent leurs guitares à chaque morceau, au point de garder les guitares en l’état pour pouvoir rejouer les titres sur scène. Certaines guitares pourront jouer ainsi un titre de leur discograghie, mais un seul. Ils se feront d’ailleurs voler un trentaine de guitares à la fin des années90 les empêchant à jamais de reproduire certains de leurs morceaux.
Sonic Youth, rapidement, va devenir la déraison sonore, l’insoutenable texture d’une audition décadente. Ils ne seront pas les seuls, peut-être même pas les premiers, mais ils sauront vendre et durer sans jamais se départir de leur démarche première.
Un premier EP sorti, vient ensuite le premier album, hésitant, tremblotant, bordélique et pourtant très intense. Les bases sont déjà posées pour un groupe qui s’apprête à marquer durablement le monde de la musique underground.
Dés lors, les tréfonds bruitistes vont être explorés, sans mesure, sans limite. Une musique punk, aux contours pop et au contenu explosif qui vrille l’âme sans se soucier des tympans, mais qui ne fait pas du bruit pour faire du bruit. Il y a toujours une route, un but à soutenir, et chaque titre sait retomber sur ces pattes, parfois en boitillant, avec quelques os concassés, sorte de rouleau compresseur qui recèle pourtant un sens de la mélancolie parfois surprenant. On coupe ici les ponts avec une musique facile à grands coups de cisaille pour s’assurer qu’un retour en arrière n’est plus possible, au point de créer, dans les années 90 une structure propre (SYR) pour mettre à jour les divagations les plus extrêmes qu’une structure malgré tout commerciale ne pourra prendre en charge. Au point de sortir, un jour, le clone du METAL MACHINE MUSIC, sous le nom de « Silver sessions ». Arnaque selon certains, passe-temps pour d’autres, cette « musique » laisse parfois dubitative, mais force aussi le respect de ceux qui, parfois, crie un peu trop vite que Sonic Youth est devenu commercial avec le temps.
A plus de 50 ans, ils continuent toujours, avec moins de hargne, mais avec toujours autant de conviction.
Je vous livre quelques uns de leurs disques, sans être exhaustif, en me concentrant sur le capital ou le plus célèbre.
SONIC YOUTH
CONFUSIONS IS SEX
Premier EP, suivi rapidement du premier album, tendus et froids, ces deux disques posent les bases sans véritablement les maîtriser. Indispensable pour qui aime leur musique, mais assurément pas pour qui débute.
BAD MOON RISING
Si les débuts discographiques du groupe étaient froids, ici, on patauge dans le glacial et le morbide. Charles MANSON et la politique américaine en filigrane, il s’agit sans doute de l’album le plus difficile d’accès, mais aussi un des meilleurs de la première période. Eprouvant pour des oreilles neuves, ce disque vous choppe à la gorge et ne vous lâche plus jusqu’à la fin, au point qu’il paraît insoutenable pour certains. A déconseiller la nuit.
EVOL
On quitte peu à peu le monde de l’absolu et la voie de la pop va s’ouvrir lentement à eux. Certes, les guitares crissent encore, les accords bavent leur dissonance et leur distorsion, mais on perçoit au loin des mélodies pop qui frôle à chaque instant le sifflage sous la douche. Glacial la douche.
SISTER
Voilà donc à mon sens le premier chef d’œuvre du groupe, et celui que je considère comme étant le plus réussi de toute leur carrière. Le point le plus juste entre les dissonances, la culture punk, et les sillons pop. Ecrire une chanson comme « schizophrenia » tient tout bonnement du miracle ; Encore aujourd’hui, vient à moi, à chaque écoute, cette brûlante question : Comment fait-on pour marier d’une aussi belle manière autant de raffut dans l’interprétation à autant de finesse dans l’écriture. Une mélodie qui s’imprègne en quelques secondes, d’une très grande beauté, qui existe et résiste malgré un groupe qui semble déployer toutes ses ressources pour la démolir. Le reste du disque est à l’avenant, à l’image du sublime « Beauty Lies in the eye », déprimant et chaleureux à la fois. Magique.
DAYDREAM NATION
L’un des plus célèbres. Celui qui va faire que Sonic Youth partira chez Geffen. Leur nom commence à résonner un peu partout chez ceux qui aiment le bruit sous toutes ses formes. Pourtant, ce disque gargantuesque et double, qui compte quelques unes des plus belles réussites du groupe, pâtit à mon sens d’une production assez indigeste, brillante et lisse, qui ne sied guère à la brutalité du groupe. Les chansons ébréchées passent facilement et finalement ne restent pas plus que çà. La réédition récente sauve les meubles en nettoyant ce côté gentillet. Un grand disque un peu gâté à mon avis.
GOO
Même problème, même effet. Ce disque est considéré par les fans comme étant un des meilleurs. A mon humble avis, la production les dessert à nouveau, mais en plus, les compositions sont plus faibles que sur DAYDREAM NATION. Bref, un disque très rock, mais finalement plus très punk.
DIRTY
Plus ou moins dans la lance des précédents, ce disque offre un côté pop très appuyé. Pourtant, la production sonne plus Live, et à l’arrivée, c’est un album assez réussi, notamment grâce à sa diversité dans les rythmes, mais aussi par une interprétation serrée et tendu. Un titre tel que « Chapell Hill » peut paraître un peu facile, et pourtant, je le trouve parfait, très bien écrit, de ces mélodies que l’on fixe au fond de sa migraine, et qui s’accroche longtemps.
WASHING MACHINE
C’est avec ce disque que Sonic Youth quitte le monde de la pop et se plonge dans l’expérimentation Avec plus ou moins de bonheur, reconnaissons le. Figure parmi mes favoris, ici, on abandonne les mélodies faciles à retenir, on désaccorde comme jamais, et on tient sa chanson sur une base improbable. Etrangement, ce disque n’est pas particulièrement bruyant, mais il est construit sur des accords inimaginables de dissonance et mêmes les instants les plus reposés comme « unwind » ne peuvent s’empêcher de prendre la fuite vers des terres brûlées donnant plus de blé qu’un meilleur avril.
Et puis, « Diamond Sea », l’énorme, le gigantesque. 20 minutes qui démarre comme une magnifique chanson, un riff simple sur quelques notes, une mélodie magnifique et bien amené, un trou d’air souffré au milieu, un rattrapage de branches qui ne dure pas, la branche lâche et le groupe glisse dans les sables mouvants truffés de décibels déchirés. Création du label SYR, et s’enchaînent alors les expérimentations les plus folles, voire parfois, il faut bien en convenir, les plus fumeuses. Un de mes disques favoris du groupe.
RATHER RIPPED
La cinquantaine est passée; pas facile, hein? Alors, on calme le jeu, et on sort un album plus pop que jamais. Un virage amorcé avec SONIC NURSE. On ne peut pas crier au génie, rien de neuf, rien de vital. Mais une vitalité justement qui fait souvent défaut aux vieux briscards du rock. On range un peu les pédales de distorsion, on est plus détendu, et surtout, on n’a plus rien à prouver, alors on fait un disque, honnête et droit, qui ne bouleverse pas, mais qui fait plaisir. Et c’est çà la musique. Du plaisir.
Sonic Youth est un des groupes qui a le plus été influencé par Neil Young, vous qui le connaissez si bien, vous comprendrez pourquoi. Alors, je trouve qu'ils avaient leur place sur ce forum.