Bob Dylan @ Festival Pause Guitare – Albi 12/07/15(Avant d'entamer cette review, je tiens à préciser qu'elle ne sera pas objective pour un sou sur certains points.
)
Pause Guitare, un chouette festival dans le sud ouest qui existe depuis un petit moment déjà (20 ans l'année prochaine). Très souvent, la prog est plutôt axée variété, avec toujours néanmoins quelques artistes majeurs de la scène rock ; il y a deux ans, Iggy & the Stooges, cette année, Status Quo le 09 et Dylan en clôture le 12.
Pour moi qui ne l'ai jamais vu, c'est l'occasion rêvée: en province, et à moindre coût. (47 euros la soirée, peut être le double au palais des sports en octobre.)
Il y aura quand même une épreuve mentale : Cali est programmé juste avant lui.
Arrivée sur le site de Pratgraussals vers 18h, pour l'ouverture. Passage des portes, on découvre le cadre.
Le site est très bien placé, à côté d'un fleuve, et la scène (pas très grande) se trouve au milieu d'une clairière artificielle. Quasiment personne pour l'instant aux abords de celle ci ; nous en profitons (nous, c'est en l'occurrence trois potes fans et moi même!) pour prendre position parmi les premiers rangs, à environ 4-5m de la scène. Vu comment le Zim se planque en fond de scène, il faudra au moins ça pour apprécier le show.
19h, la très jolie Hindi Zahra, première artiste de la soirée, ouvre les hostilités. Je l'avais vu par hasard lors de son passage télévisé au Grand Journal il y a quelques mois, et en live, c'est plutôt sympa, un blues atmosphérique avec une pointe de musique traditionnelle hindoue. Elle chante en français et anglais. 45 minutes de set bien envoyées plus un rappel et elle quitte la scène, généreusement applaudie par le public albigeois qui a commencé à se rassembler sur le site, il faut dire que certains étaient venus spécialement pour Cali.
Nous, avec notre position au troisième rang, on ne va pas en rater une miette, hélas…
De 20h à 21h environ, le gus nous assomme avec ses tubes pop que j'ai jamais pu blairer à la radio plus de récentes trouvailles de son dernier album. Si encore il n'y avait que ça… Mais le mec ne chante pas, il gueule dans le micro et use d'un jeu de scène certes dynamique mais extrêmement lourd. Au bout du troisième stage dive, les pulsions meurtrières se font sentir. Cerise sur le gâteau, il marie ce soir deux personnes sur scène (première fois de ma vie que j'assiste à ça…).
Après une heure de ce traitement, il décide enfin de nous foutre la paix, au grand dam d'un public albigeois complètement à fond.
C'est à ce moment là qu'on sent que certains vont prendre une belle douche froide lorsque le Bob montera sur scène.
Déjà, je commence à entendre des remarques du style «il ressemble à quoi maintenant ? » ou l'hilarant « j'espère qu'il va jouer Hurricane ! ».
Mais nous sommes devant, il y a donc aussi beaucoup de connaisseurs, qui suivent avec assiduité le Never Ending Tour 2015.
21h15 : je commence à avoir une boule dans le ventre, Dylan fait partie de mes artistes préférés, et même si je sais que son approche de la scène a énormément changée et en a déçu plus d'un (Vieilles Charrues 2012…), je suis très impatient, il va clairement se passer quelque chose…
21h25, la scène s'est complètement métamorphosée : aux lightshows flashy succède un éclairage intimiste, d'énormes projecteurs de cinéma et un agencement des instrument bien particulier. Le tout dégage déjà un cachet vintage qui me plaît bien… Des bustes sont même placés discrètement sur certains amplis. (Référence à la pochette de
Tempest peut être ? ) Le micro a reculé de 4m, il est désormais au milieu de la scène.
21h30, Stu Kimball (guitare 1) est le premier à fouler la scène.
Armé d'une Gibson acoustique, il se lance seul dans une intro country à souhaits, pendant que le backing band fait son entrée.
Puis on le voit enfin : là, à 8m à peine, Dylan. Comme toujours, on a l'impression qu'il voudrait être ailleurs, et pourtant ; le type est bien là. L'aura qu'il dégage est juste ahurissante. C'est con à dire, mais avant même qu'il chante, on est fasciné.
Puis la machine se met en marche :
Things Have Changed, morceau de 2000 tiré d'une BO est envoyé sur un tempo ultra rapide, presque comme un titre de Johnny Cash.
«
A worried man, with a worried mind... »
Cette voix d'outre tombe, usée par les décennies, qui a fait couler des litres d'encre, se fait enfin entendre. Les mots nous atteignent comme des flèches, je suis touché en plein coeur. A partir de là, je suis foutu, le Zim m'a complètement envoûté.
Peu importe la voix crépusculaire, le "bêlement de brebis malade" (Les Inrocks à propos des concerts du grand Rex en 2013), les morceaux qu'on mettra du temps à reconnaître tant ils sont retravaillés… C'est une légende qui s'adresse à nous, à présent. Cali a même disparu dans les tréfonds de ma mémoire, face au songwriter ultime.
Derrière, le groupe assure une trame sonore implacable. Ils sont monstrueux : Stu Kimball, Tony Garnier, le bassiste présent aux cotés du Zim depuis 89, le mastodonte George Recile derrière les fûts, Charlie Sexton et ses solis tout en finesse, et Donnie Herron à la slide.
Le Zim a toujours su s'entourer des meilleurs (le légendaire Band, Mick Ronson et Roger McGuinn, Mick Taylor, Mark Knopfler dans les 80's…), et le groupe du Never Ending Tour 2015 ne fait pas exception ; en déchaînant un country rock tout droit sorti du passé…
«
I used to care.. But Things have changed » à chaque refrain , on acclame Dylan comme des hystériques, au risque de passer pour des possédés… Car clairement, les gens ne s'attendaient pas à ça : autour de moi, ça applaudit poliment, mais les regards sont dans le vide, cherchent quelque chose qui n'est pas sur scène. Cinq décennies ont passées depuis la guitare en bandouillère et les protest songs ...
Sur
She Belongs To Me, somptueux titre de
Bringing It All Back Home, le Zim dégaine l'harmonica. Ca ne loupe pas : première ovation de la soirée, quelle émotion !!! Il donne tout dans cet harmo, et le groupe ne manque pas de sublimer l'intervention par un break bien senti.
Il passe ensuite d'un pas pressé au piano et le groupe entame
Beyond Here Lies Nothin', un titre à la rythmique un peu hispanisante, systématiquement joué sur ce Never Ending Tour 2015.
Puis, première surprise : setlist festival oblige, le magnifique
Don't Think Twice It's Alright nous est offert... Si elle était très limite sur
She Belongs To Me, la voix de Dylan est à ce moment là tout à fait dans le coup, c'est une réussite.
Un mec bourré évacué plus tard et c'est
Duquesne Whistle, morceau d'ouverture de
Tempest, l'album de 2012.
Je l'aime beaucoup, cet album, et ce titre est excellent, tout à fait représentatif du registre actuel du Zim : une section rythmique feutrée, un piano « saloon », une guitare entraînante, et une slide qui nous transportent au far west, sans oublier des paroles glorieuses éructées par un Old Bob qui carbure au vieux malt : «
I wake up every morning with that woman on my bed, everybody's tellin me she's gone to my head ! » ; Le groupe enchaîne avec
I'll Be Your Baby Tonight, également une belle surprise, puis poursuit sur l'impitoyable
Pay In Blood, ou Bob revient au centre de la scène.
Le rythme jusqu'à présent soutenu, se calme ensuite pour un extrait du dernier opus :
Shadows In The Night, album de reprises de Sinatra que j'avais apprécié, sans plus.
Full Moon & Empty Arms est le standard choisi ce soir, et le moment est plutôt classe ; Dylan assurant superbement les vocaux soutenu par un groupe qui joue très subtilement. Tony Garnier sort la contrebasse, Receli les balais. Plus que jamais, ils semblent sortir d'un film en noir et blanc, la scène est parfaitement adaptée à l'atmosphère, le soleil s'est désormais couché. Deuxième ovation.
Pas d'entracte ce soir, on poursuit avec
Cry A While, morceau récent que j'avoue ne pas avoir identifié sur le moment. Puis les choses commencent à devenir mystiques : « Ain't it just like the night, to play tricks when you're tryin' to be so quiet? »
Visions Of Johanna, un de mes titres favoris, d'un de mes albums fétiches,
Blonde on Blonde, sorti de nulle part. Dylan nous a clairement sorti une setlist aux petits oignons. Et ça n'est pas fini...
Til' I Fell In Love With You est une des claques musicales de la soirée, surtout pour l'outro de plusieurs minutes, où le groupe décoche une jam excellente. A quatre mètres de nous, on voit en détail Dylan s'éclater, jeter des regards complices à ses musiciens, danser sous son piano (Incroyable, non???), il a définitivement des airs de Jerry Lee, ce soir… Tony Garnier, le mercenaire de la basse, a le sourire aux lèvres. Ce soir, quand il ne swingue pas, Dylan fait chialer :
Shelter From The Storm, tiré du mythique
Blood On The Tracks, dans une version irréelle. Le groupe est dans la même configuration que sur les standards de Sinatra, Dylan est au centre, immobile, et lorsqu'à la fin du titre, il lève les bras, j'ai l'impression d'assister à une scène biblique.
Retour au blues, avec l'énorme
Blind Willie McTell, inédit de l'époque d'
Infidels (1983) où l'harmonica, dégainé comme un six coups, nous met une grosse raclée. Après ce standard,
Tweedle Dum & Tweedle Dee m'a paru un peu fade. Peut être le titre le moins efficace de la soirée.
Mais, peu importe, quand on voit le final : alors que je me croyais à l'abri d'un autre accès de folie du Zim,
Desolation Row fait son apparition. Peut être (si il y en a une) ma chanson culte de Dylan. Peut être (si il y en a un) le texte de rock le plus impressionnant du XXème siècle. LE titre qui clôt l'album
Highway 61 Revisited.
Là, sous les étoiles, Dylan nous interprète un de ses joyaux. L'impact est énorme, j'en ai les larmes aux yeux. Autour de moi, les fans crient de joie à l'amorce du mythique «
They're selling postcards of the hanging... ».
Chaque fin de couplet est acclamée par les premiers rangs. Derrière, ils doivent sérieusement se demander ce qui est en train de se passer (si ils sont encore là…).
Pas d'harmonica, juste un passage instrumental avec Bob au piano. Faute de temps certainement, la chanson est amputée de plusieurs couplets (ce soir, Ezra Pound et T.S Elliott ne se battront pas dans la cabine du capitaine, et Casanova ne sera pas nourri à la petite cuillère), mais c'est tout de même grandiose.
Est il seulement possible de jouer quelque chose après
Desolation Row ?
On dirait que Dylan devine nos pensées : cri de joie lorsque le groupe joue l'intro reconnaissable entre mille de
Ballad of A Thin Man, seul autre extrait du définitif
Highway 61, en son temps sublimé avec The Band. La voix du Dylan actuel sied à merveille à ce titre, dark à souhaits ; les «
Do yaaaa, Mr Jones ? » me transpercent comme des lances, le piano est menacant, et lorsque Dylan prend un solo minimaliste sur la fin, le moment est parfait.
22h45, après 1h40, le groupe se retire.
Après à peine une minute d'applaudissements, ils reviennent, et l'adieu se fera sur un classique. Et quel classique :
All Along The Watchtower, avec un superbe échange guitare/slide/piano pendant le break, un coup de caisse claire, et la remontée finale. Je n'aurais pas souhaité mieux que ce standard, qui soulève à son terme la troisième et ultime ovation de la soirée.
Pénombre à nouveau, puis les lumières se rallument : Dylan et ses mercenaires nous saluent, en silence. 1H45 de musique. Pas un mot n'aura été prononcé. Je suis aux anges.
Retour à la buvette, long débrief du concert, où on apprend que pas mal de personnes sont parties avant la fin, « déçues », ou « n'en croyant pas leurs oreilles ». Pour ma part, je n'y allais pas avec d'énormes attentes, et ce fut une claque mémorable. Discussion avec deux potes fans, dont c'était le 10ème ou 11ème concert du Zim : « il est dans le top, celui là ! ».
Alors, effectivement, sur scène, le Zim divise en 2015 comme il l'a toujours fait, mais je pourrai désormais dire avec certitude : si vous êtes fan, il se passe quand même quelque chose de fort aux concerts de Dylan ! Si vous y allez, essayez de vous mettre devant, là où on peut voir toutes ses expressions, les regards échangés avec le groupe, le mélange d'assurance et de désinvolture qui le caractérise. Le gars joue quand même en moyenne 200 concerts par an, il prend son pied, c'est une évidence.
(Mon avis : j'ai bien rigolé en voyant au lendemain du concert des réactions scandalisées sur les réseaux sociaux, quant au fait qu'il ne parle pas,qu'il soit distant, etc... Allons, un
Desolation Row transmet à lui seul assez d'émotion pour plusieurs décennies!!)
Merci pour la lecture!
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Setlist:
1-Things Have Changed
2-She Belongs to Me
3-Beyond Here Lies Nothin'
4-Don't Think Twice, It's All Right
5-Duquesne Whistle
6-I'll Be Your Baby Tonight
7-Pay in Blood
8-Full Moon and Empty Arms (Frank Sinatra cover)
9-Cry a While
10-Visions of Johanna
11-'Til I Fell in Love with You
12-Shelter from the Storm
13-Blind Willie McTell
14-Tweedle Dee & Tweedle Dum
15-Desolation Row
16-Ballad of a Thin Man
Encore:
17-All Along the Watchtower