MARK KOZELEK & Co

SUN KIL MOON - Admiral Fell Promises

Mark Kozelek, ex Red House Painters et actuel leader de Sun Kil Moon est une fieffée feignasse. Il écrit depuis vingt piges le même morceau en faisant varier la longueur. Pas une distorsion bien sentie, pas le moindre beuglement, aucune référence au satanisme, pas le moindre sacrifice de poulet, loué ou acheté, peu importe, là n’est pas la question. Pas la moindre torture le soir de pleine lune, avec une vierge effarouchée ne portant sur elle que la miséricorde. Pas le moindre petit solo de dix minutes joué à la vitesse d’un cheval au galop, ni le moindre astiquage de manche en bonne et due forme. Et puis, alors, au niveau de l’habillement, c’est le grand n’importe quoi ! Pas le moindre bracelet clouté, pas le moindre bout de cuir ou la moindre croix un tant soit peu sataniste ! Bref, le Marco ne fait aucun effort d’intégration ; Pas étonnant qu’il soit rejeté par ses petits camarades. Voilà comment un journaliste du Hard-Rock magasine aurait pu traiter le nouvel album de Mark Kozelek… enfin, de Sun Kil Moon. J’aurais pu imaginer la version des Inrocks, mais pour ça, il faudrait qu’ils aient des oreilles en état de marche.

Du coup, alors que le nouvel opus du gars Mark est sorti, je me permets de vous en toucher un mot. J’ai longtemps cherché, mais je n’ai pas trouvé d’autre expression que « Touché par la grâce » ! De fait, ses albums ont parfois tendance à se ressembler, et s’il est vrai que l’on prend souvent plaisir à le retrouver, on espère parfois qu’il va se décider à changer de chemin. Et puis voici que sort ce nouveau disque. Un disque obscur et lumineux à la fois. Obscur car il pourrait très bien avoir été enregistré dans une pièce sans fenêtre, à une époque révolue, mais lumineux car il y croise souvent la beauté absolue. Ce disque est en réalité un album solo, où Mark fait la démonstration la plus absolue de sa technique. C’est un grand guitariste. Pas un de ceux qui dévalent les pentes tout schuss, mais un guitariste qui sait s’arrêter sur chaque note essentielle. On pourrait croire que ce disque est le point de rencontre entre le Pink Moon de Nick Drake (j’ai même cru à une reprise en entendant l’intro de « The leaning tree ») et la musique espagnole, mais également baroque. A plusieurs reprises, on frise même le moyen-âge. Malgré tout, il continue à chanter avec ce ton si particulier, un brin monocorde, un brin monotone qui donne une telle particularité à sa musique.

Il n’hésite pas à allonger ses titres sans pour autant les rendre interminables. Il parvient à renouveler sa musique, tout en respectant une certaine continuité. Elle semble une suite logique, et il lui insuffle une nouvelle épaisseur. Bien sûr, ceux qui trouvaient sont univers un peu ennuyeux ne vont pas changer d’avis avec ce disque taillé pour vous accompagner la nuit, alors que rien ne bouge aux alentours ; Ce disque fait le ménage par le vide et vous donne l’impression d’être seul au monde pour l’apprécier dans ses largeurs. Il faudra plus d’une écoute pour en comprendre toutes les finesses, notamment au niveau du jeu qui n’a jamais été aussi fluide et complexe.

Un disque magistral dans sa conception, dans sa direction, dans son entêtement à creuser un sillon toujours plus précieux et original. Un des mes disques de l’année, cela va sans dire.

Nul nul et renul! J'ai tenté de faire une note, et rien à faire, pas moyen d'écrire une ligne correcte. j'aurais voulu chiffonner mon écran comme l'on torturait le papier du temps perdu où l'on faisait encore crisser la plume de tout son poids sur la feuille vierge. Du temps où l'on raturait. Tiens, encore un mot qui est bon pour disparaître. Qui de nos jours se permet encore de raturer? Un coup de clic droit et la faute d'orthographe disparaît. Et d'ailleurs, comment s'est on aperçu de la faute? Parce qu'on se souvient de ses cours de français? Non. Parce que le mot est souligné en rouge. Alors se pose cette question fondamentale! Un daltonien est-il nul en orthographe de nos jours?

Et Mark Kozelek? Croyez-vous qu'il soit nul en orthographe? Je ne sais pas, mais ce que je sais c'est qu'il me tourne autour depuis bien longtemps, mais il n'a jamais osé frapper à ma porte avant ce soir d'Août, au milieu de la campagne. Seul avec mon casque, une perle de sueur traverse mon visage, se frayant un chemin au gré de mes rides plus que naissantes. "Lucky Man" me chante-t-il alors, sur son "April" hors-saison. Je fonds, plus sous les coups de l'émotion que de la chaleur. Quelques mois plus tôt, j'ai acheté mon premier album des Red House Painters. J'écoute depuis longtemps les Red House Painters, sur ces supports numériques si laids, impersonnels, que j'exècre de plus en plus. "Song for A Blue Guitar", a alors fait récemment son entrée chez moi, et, alors que j'écoute "vraiment" pour la première fois Red House Painters, c'est l'évidence. Bien sûr, les accointances Neil Younguesque me parlent, mais finalement, pas tant que ça. C'est surtout cette fausse monotonie qui se dévoile. Car pour qui écoute Mark Kozelek et ses avatars d'une oreille distraite, comme je l'ai malheureusement trop longtemps fait, cette musique semble monotone... Mais dès lors que l'on s'approche, que l'on colle son oreille contre cette musique profondément unique, intime et délicate, c'est tout un panel de couleurs qui se découvre. Les digressions soniques de ces quelques épopées se taillent la part d'un lion, mais ce serait éluder la question acoustique que de résumer cette découverte ainsi.

En quelques minutes, ce mois d'Août devient Avril, et ni une ni deux, je pars en quête de tous ces disques qui m'ont si longtemps échappé. Et je me rends compte que si j'ai déjà entendu à plusieurs reprises la plupart de ses disques, je n'en ai écouté aucun. Terrible constat. C'est effrayant. Mark Kozelek s'avère aussi doué pour la composition que pour les reprises, consacrant des disques complets aux reprises. Tiny Cities, où il reprend sur toute la longueur du disque les chansons de Modest Mouse, mais également AC/DC, à plusieurs reprises, et à chaque fois, il réinvente littéralement le répertoire, se l'appropriant, et le rendant très souvent méconnaissable.

Et me voici, écoutant "new partner" avec des larmes dans les yeux, me voilà écoutant "Carry me, Ohio", les frissons dans le dos.

En quelques semaines, j'ai acquis tout ce qui peut encore s'acheter dans la pléthorique discographie de Mark Kozelek, sans avoir eu le poindre regret. Et c'est là qu'il me faut avouer cette impardonnable erreur de jugement. Mark Kozelek n'est pas monotone, il ne fait pas toujours la même chose, mais creuse un sillon, le sien, aussi personnel que possible, avec cette voix sombre et tendu. il semble chanter en serrant la mâchoire. Et ce jeu de guitare, toujours plus élégant et fin, toujours plus lettré et sinueux. Et voilà que cet amour de vacances, que l'on abandonne souvent au creux de la vague, se dessine en amour véritable, de ceux qui durent, qui vous possèdent, qui vous font courir les rues pour le retrouver. Mark Kozelek est devenu une évidence, une référence précieuse qui sans nul doute saura durer plus longtemps que certaines qui ont pourtant su me transporter des années durant.

Mark Kozelek, un ami pour la vie.